Les brasseries estriennes En Estrie, les brasseries ont été l'affaire des anglophones et des loyalistes. Elles ont commencé à s'implanter dans les cantons au moment de la colonisation britannique (1820-1850) et ont connu leurs heures de gloire entre 1880 et 1920, durant la phase d'urbanisation et d'industrialisation. Malheureusement, il s'est écrit peu de choses sur l'histoire de la bière et des brasseries en Estrie(3). La première brasserie à voir le jour dans cette région serait, selon l'historien, Jean-Pierre Kesterman, la Charleston Brewery. Les activités de cette brasserie, située à Charleston (aujourd'hui Hatley), aurait débuté vers 1820 pour se terminer à la fin des années 1840. En 1837, une seconde brasserie, cette fois à Lennoxville, ouvre ses portes: la Lennoxville Brewery. Elle fait faillite vers 1875, en raison de la crise économique de 1873-1879 et de la concurrence d'une autre brasserie: la Spring Brewery. Celle-ci est la première à s'installer à Sherbrooke et son propriétaire, Henry Philips, est un des plus anciens brasseurs de Montréal. Construite en 1859, elle est vendue dix ans plus tard à un dénommé C.H. Fletcher. Jusqu'à sa fermeture en 1887, dans la mentalité populaire, elle portera le nom de Brasserie Fletcher. Suite à un incendie mineur, en 1887, la Spring Brewery ferme ses livres et vend son équipement à une autre brasserie, fondée l'année précédente: la Burton Brewery. S'identifiant comme "successeur" de la Brasserie Fletcher, la Burton Brewery(5) au tournant des années 1890, vend plusieurs produits, notamment la Pale Bitter, des bières douces, de la Porter "sablé", en pinte et chopine. La Ale Indian Pale sous capsule fait fureur. Le nom de Burton Brewery s'inspire de la municipalité natale du directeur (Burton-On-Trent, capitale de la bière anglaise). Une autre particularité de la Burton Brewery: elle est officiellement la première brasserie à implanter un système de livraison aux résidences privées, par voitures à chevaux. Il a lieu tous les 15 jours. Si la plupart des brasseries en Estrie ont eu une courte espérance de vie, sans conteste, la plus prospère a été la Silver Spring Brewery(6). Fondée à Sherbrooke, en 1896, cette brasserie exportait ses produits tant au niveau local que national, notamment en Ontario, dans les provinces de l'Ouest et dans les Maritimes. En l'espace de dix ans, sa production annuelle atteint près de 750 000 gallons de bière. La Silver Spring Brewery produit la Whitecap Select, la Indian Pale Ale et la Cream Porter. Dernière brasserie régionale dans les années 1920 à se battre contre la concurence des grandes brasseries canadiennes, la Silver Spring Brewery ferme ses portes en 1929. Nous arrive le mouvement de tempérance.
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Camion de distribution de la bière Frontenac
Nous devenons une nation d'ivrognes!" tel est le cri d'alarme lancé, en 1815, par les premières sociétés de tempérance américaines. Américains et Canadiens se sentent menacés par la pauvreté et le chômage mais également par l'ivrognerie. L'alcoolisme est perçu comme la cause de la misère et non comme un de ses effets. Cette idée fait de nombreux adeptes dans la classe moyenne, issus du protestantisme, et une quantité de brochures voient le jour. D'ailleurs, à partir de 1850, la prohibition gagne la faveur de ces sociétés et une solution semble faire l'unanimité: éliminer la tentation en interdisant les boissons alcoolisées. Les Cantons-de-l'Est n'échappent pas à la vague prohibitionniste qui touche la province et le pays. Malgré la détermination de plusieurs membres, ces sociétés de tempérance,ne font pas long feu. La population de plus en plus francophone, est moins sensible à leur cause. Ce qui n'empêchera pas quelques Canadiens français, en 1881, de créer une ligue pour "combattre les abus et l'usage immodéré des liqueurs". À ce moment-là , seulement six des soixante-cinq comtés du Québec sont sous les lois prohibitionnistes, dont cinq font partie des Cantons-de-l'Est, bastion de la population anglo-protestante de la province. Durant la prohibition canadienne une seule compagnie obtiendra un permis de vente de boissons à Sherbrooke, pour fins sacramentelles, médicales et industrielles. Ce laisser-faire origine également du manque de ressources policières dans une ville en expansion. L'ivresse publique est la cause de plus de 50% des arrestations. Plusieurs municipalités ayant voté la prohibition, de nombreux villageois viennent boire à Sherbrooke. Au Québec, dans les Cantons, peu à peu, un débat sur l'alcool oppose Canadiens français et Canadiens anglais. Les deux groupes s'entendent sur les dangers de l'alcool mais les moyens à entreprendre ne font guère l'unanimité. Traditionnellement, les Canadiens français considèrent la bière et le vin comme des boissons de modération. Le clergé est de cet avis: "Une loi de prohibition serait un attentat à la liberté naturelle puisqu'elle interdirait l'usage licite, en soi, d'un bien que Dieu a créé". Les Canadiens français s'opposent donc à une loi prohibitive qui les priverait de la bière et du vin mais sont d'accord pour qu'on interdise les spiritueux. La prohibition de 1917 divise le Canada du Québec et fait la fortune de plusieurs francophones, résidants des municipalités situées près des frontières canado-américaines. En 1917, toutes les provinces du Canada sont sobres, sauf le Québec... Cette année-là , James Keith Edwards, conseiller municipal à Sherbrooke, lance un cri de désespoir: "Si je le pouvais, j'enlèverais toutes les licences de la province. Il n'y a pas plus grande malédiction que la boisson". Le whisky la bière et la prohibition à Coaticook. Au XIXe siècle, des mouvements de tempérance apparaissent et prolifèrent. Ce sont généralement des Canadiens anglophones qui s'attaquent à l'ivrognerie, à l'alcool. Ces mouvements connaîtront leur apogée à la prohibition de 1917. Venus des États-Unis, les premiers colons anglophones apportent leurs coutumes et traditions, notamment la recette de fabrication du whisky blanc à partir des pommes de terre. Coaticook, municipalité située aux frontières canado-américaines, est fondée en 1834, par des anglophones américains. À cette époque, "les distilleries connaissent une courte mais fructueuse carrière dans les Cantons-de-l'Est. En 1831, la région compte le tiers des distilleries du Bas-Canada. À Stanstead, ville frontalière, on en a déjà dénombré jusqu'à vingt-six!". Cependant, à la fin des années 1850, l'industrie de la distillerie est déjà à son déclin. La maladie qui décime les récoltes de pommes de terre, les mouvements de tempérances contre l'alcool ainsi que la production artisanale sont autant de facteurs qui mènent au déclin de ce type d'industrie. Malgré tout, à Coaticook, deux distilleries voient le jour. D'abord celle de Samuel Cleveland, en 1848 (située sur la rue Main Est, à proximité de la rue Child).
Puis, celle d'Edmond Davis, construite un peu avant 1851 où l’on situe à proximité. Ces deux distilleries auront toutefois une existence éphémère: celle de Cleveland ne sera en opération que jusqu'en 1854. On y fabrique, entre autres, le whisky blanc: une boisson qui sera maître et roi durant ce demi-siècle. Son mode de fabrication est simple et bien connu; sa matière première est peu coûteuse et accessible. Il s'agit de pommes de terre provenant en majorité des terres de Barford. À Coaticook, aux côtés de ces deux distilleries industrielles, on peut présumer, selon la tradition orale, jusqu'au début du XXe siècle, l'existence de dizaines de distilleries artisanales. On utilisait le plus souvent le surplus des récoltes(13); pour certains artisans, il s'agissait de leur consommation personnelle; pour d'autres, dans un but lucratif, l'alcool était vendu au marché local. Au début des années 1900, les francophones deviennent majoritaire à Coaticook et l'alcool est délaissé au profit du vin et de la bière car, au Québec, contrairement au reste du Canada et aux États-Unis, du fait que la province est composée de francophone, le débat de la prohibition prend un caractère différent. Les francophones sont d'accord pour prohiber les spiritueux mais s'opposent à l'interdiction de la bière et du vin. Les politiciens ne veulent surtout pas trancher le dilemme et jouent avec le temps et le compromis. Si bien "qu'en 1918, plus d'un millier de localités se prévalent de la loi Scott, interdisant la vente d'alcool sur leur territoire. Subitement, le gouvernement provincial vote la prohibition. La loi ne doit prendre effet qu'un an plus tard, soit le 1er mai 1919 et concerne la vente de boisson alcoolisée --les bières à faible taux d'alcool (moins de 2,5%) sont permises. Le délai ainsi créé permet aux opposants à la loi de former une coalition. Les brasseurs de la province lancent une campagne publicitaire vantant les vertus de la bière. Le 10 avril 1919, le gouvernement québécois tient un vaste référendum sur la question de la vente de la bière et du vin. Les Canadiens français, majoritaires dans la province, votent en faveur de cette vente.
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Camion distribuant la bière Frontenac à Coaticook
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C'est ainsi qu'en 1919, le Québec devient le seul endroit en Amérique du Nord à ne pas être au régime sec. Seules les boissons fortes y sont prohibées". À partir de ce moment-là , en Estrie, et dans des biens des régions du Québec, de nombreuses distilleries artisanales vont voir le jour. "La "bagosse" entre officiellement dans l'histoire de la contrebande québécoise. Les autorités sont alors confrontées à la contrebande. Le gouvernement du Québec adopte une solution marginale, le 1er mars 1921, en étatisant le commerce de l'alcool. L'Amérique est sous la prohibition... sauf le Québec. Aux États-Unis, jusqu'en 1933, la prohibition causera de graves désordres sociaux, entraînera de nombreuses activités criminelles notamment la contrebande d'alcool et son célèbre bootlegger et ganster Alphonse Capone surnommé "Al" (1895-1947). Plusieurs témoignages confirment sa présence dans la région de Coaticook, notamment près d’Hereford; aussi, dans une maison située à Saint-Herménégilde où Capone aurait effectué plusieurs transactions et habiter les lieux durant quelques temps. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les services hôteliers et de loisirs vont jouer un rôle important dans la transformation urbaine de Coaticook. Si aujourd’hui, la vocation essentielle d’un hôtel est le divertissement, au début de la colonisation, ce bâtiment servait à accueillir les voyageurs de passages mais également à abriter les réunions sociales ou politiques. On ne s’étonnera pas de constater que c’est Horace Cutting qui ouvrit le premier hôtel, homme renommé pour les grandes négociations. En 1863, il existait trois hôtels dans la Ville de Coaticook; vingt ans plus tard, on en comptait plus du double, notamment le Coaticook House, le Quenn’s Hotel, le Canada Hotel, le Royal Hotel, le Montreal Hotel, le Grand Central Hotel et Thorndyke Hotel. Cependant, de tous ses bars d'autrefois, un seul bâtiment est demeuré intact et n'a jamais délaissé sa vocation d'hôtellerie depuis 1927: l'Auberge la Tourelle. À Coaticook, au tournant du XIXe siècle, les bières importées se taillent une part du marché, notamment la Milwaukeer Lager Beer (des États-Unis) et les produits Guinness (d’Irlande). S’ajouteront massivement, dans les années 1920, les grandes brasseries canadiennes : Molson, O’Keefe, Labatt, et surtout les produits Dow Ale et Dawes Black Horse. Les grandes brasseries québécoises et canadiennes produisent leurs bières à l’extérieur et engagent des distributeurs. Longtemps à cette époque et dans toute la région des Cantons-de-l’Est, l’agent distributeur de Molson a été D. W. Stenson. À Coaticook même, c’est le commerce V. Paradis et fils, situé sur la rue Main ouest, qui servait d’agent pour les produits Labatt (le porter surtout). Certes, si on peut parler d’une troisième brasserie d’importance dans la MRC de Coaticook, on mentionnera la Brasserie Frontenac. Fondée en 1911, elle brasse, entre autres, la Frontenac Blue Label Lager. Dans les années 1920-1930, cette bière obtiendra un certain succès, principalement en raison de sa popularité chez les Américains et de la prohibition dans ce pays. Elle serait la grande bière de la prohibition. La publicité était omniprésente dans les journaux de l’époque –surtout la Dow et la O’Keefe. Pendant toutes ces années, seulement deux grandes brasseries installeront des publicités murales faisant la promotion de leurs produits. Vers 1923, un panneau (recto verso, environ 1m X 2m) vantait les mérites de la Black Horse. Il était sur la terre d’un dénommé Côté, à Coaticook Nord. Aucun chemin ne passait alors à cet endroit, mais l’annonce pouvait être aperçue du train qui traversait la terre. La brasserie Dow donnait à M. Côté 50 $ par année, une somme importante pour l’époque. Quant à l’autre réclame, datant de 1925, elle appartient à la brasserie Molson. Celle-ci avait convenu avec Côté d’entretenir la peinture extérieure de la grange familiale, située tout près de la réclame Dow! Il est encore possible aujourd’hui de voir le calque défraichi et presque disparu de l’annonce sur les murs de la grange. La dernière couche de peinture date des années 1950!