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Le Courant

Automne 2018 | 20

Le canton de Compton

Texte produit par Jeanmarc Lachance, président de la Société d’Histoire de Compton
Déjeuner-causerie du 8 novembre 2017


Le canton de Compton

Le territoire du Buckinghamshire, cet espace compris entre les seigneuries sises le long de la rivière Richelieu, de la rive sud du Saint-Laurent et celles de la rivière Chaudière à l’est, est délimité au sud par la frontière étatsunienne. Ce territoire, non organisé jusqu’en 1792, prendra le nom de Eastern Townships et plus tard de Cantons de l’Est.

C’est vers la fin du XVIIIe siècle que plusieurs Américains manifestent de l’intérêt pour occuper des terres situées au nord du quarante-cinquième parallèle. Ayant longtemps hésité, les autorités britanniques se décident enfin à organiser ce territoire, d’autant que des squatters s’étaient déjà établis sur les terres de la Couronne. Par la proclamation du lieutenant-gouverneur du Bas-Canada Alured Clarke, la décision d’organiser le territoire est prise le 7 février 1792; la délimitation des grandes lignes des 95 cantons du Buckinghamshire va commencer. L’organisation du territoire des Eastern Townships s’avérera d’autant plus pertinente qu’elle permet d’accueillir les habitants de la Nouvelle-Angleterre qui, suite à la déclaration de l’indépendance des États-Unis, souhaitaient demeurer au sein de l’empire britannique.

                             Carte Compton 1867

 

Un canton « classique »


Le canton de Compton est conforme à la définition classique du canton anglais : un carré de 10 milles par 10 milles (16 kilomètres par 16 kilomètres). Il est délimité à l’ouest par le canton d’Hatley, au nord par ceux d’Ascot et d’Eaton, à l’est par le canton de Clifton et au sud par ceux de Barnston et de Barford. Le canton de Compton est divisé d’ouest en est en 10 rangs, chaque rang étant subdivisé du sud vers le nord en 28 lots. Chaque lot mesure approximativement un mille par un peu plus d’un tiers de mille, soit une superficie d’environ 200 acres.

Le canton de Compton est rapidement réquisitionné mais c’est au consortium formé de Jesse Pennoyer, Nathaniel Coffin et Joseph Kilborne qu’il sera concédé, Jesse Pennoyer étant généralement reconnu comme leur leader. En réquisitionnant un canton, le chef du groupe, ou dans ce cas-ci le consortium, se devait d’assumer les frais d’arpentage des limites du canton et des lots, le coût des procédures et les frais d’émission des lettres patentes. En plus des trois promoteurs, Leonard S. Channell, dans History of Compton County (1896) identifie 18 associés intéressés à s’établir dans le canton de Compton. Parmi ceux-ci, Tyler Spafford et Isaac Farwell sont des patronymes qui résonnent encore dans le milieu comptonnois, leurs descendants y ayant vécu jusqu’au début du XXe siècle.


L’arpentage du canton et la concession des lots
En juillet 1797, Joseph Kilborne et Jesse Pennoyer partent de la Baie Missisquoi pour planifier l’arpentage, les provisions et l’équipement requis pour procéder à la subdivision en lots du canton de Compton.

L’année suivante, en 1798, l’arpenteur Joseph Kilborne arrive chez Mr. Hyatt à Ascot le 8 octobre. Les travaux débutent le mardi 9 octobre au coin nord-ouest du canton de Compton à la borne (Postmark) de « Compton, Hatley, Ascot – 1792 ». À partir de la rivière Massawippi, sur la ligne ouest/est entre les cantons d’Ascot et de Compton, on plante un mille plus loin une première borne marquée « 1 Con, 2 Con 28 » ; puis un mille plus loin, sur la même ligne ouest/est, une deuxième borne marquée « 2 Con, 3 Con, 28 ». Le mercredi 10 octobre, débutant à la marque 1.2.28, ils prennent la direction sud-ouest déterminant, entre le premier et le deuxième rang, les limites des différents lots. Ils atteindront le canton de Barnston, la limite sud du canton de Compton, le 12 octobre. Se dirigeant vers l’est, ils reprennent, un mille plus loin, la direction nord, délimitant les lots entre le 2e et le 3e rang et ainsi de suite. Les travaux sont complétés, 10 rangs plus loin, le 7 novembre suivant à la borne marquée « Compton, Clifton, Eaton – 1792 » L’expédition aura duré 30 jours, prenant en moyenne 3 jours pour parcourir le canton entre les cantons d’Ascot ou d’Eaton au nord et ceux de Barnston ou de Barford au sud.

Le carnet de Joseph Kilborne fait notamment état des éléments significatifs qu’il rencontre pendant les travaux d’arpentage (ruisseaux, rivières, marécages, essences d’arbres, qualité des terres, etc.). Ainsi arpentés les lettres patentes des 280 lots pourront être concédés. Le 31 août 1802, le Canton de Compton est officiellement proclamé. Jesse Pennoyer, Nathaniel Coffin, Joseph Kilborne et leurs associés se voient concédé chacun six lots, soit 1200 acres de terre. Curieusement, deux associés font exception; le total des lots qui leur sont attribués ne représente qu’environ 1000 acres. De tous ces lots, 120 sont situés dans les six premiers rangs à l’ouest du canton de Compton, seulement six autres le sont dans le 7e rang.

                                 carnet d'apprentissage

                                                            Carnet d'arpentage


Le système d’attribution des lots n’était pas parfait; c’est du moins ce qu’affirme le sous-registraire Jean-Chrysostome Langelier, dans Liste des terrains concédés par la Couronne dans la province de Québec de 1763 au 31 décembre 1890. Plusieurs personnages de l’administration publique et des spéculateurs proches du pouvoir mettront la main sur d’importantes étendues de terre. Le canton de Compton n’est pas épargné puisque l’ancien lieutenant-gouverneur, Sir Robert S. Milnes se fait concéder, le 12 mars 1810, plus de 48 000 acres dans les cantons de Stanstead, Barnston dont 13 110 acres dans le canton de Compton. Il devient pratiquement l’unique propriétaire de tout l’est du canton : les lots non concédés du 7e rang et la quasi-totalité des lots des 8e, 9e et 10e rangs, exception faite des lots réservés à l’Église d’Angleterre et à la Couronne britannique .

Le peuplement de Compton

Le peuplement du canton de Compton ne diffère pas vraiment de celui de la partie sud des Cantons de l’Est. Trois vagues successives d’immigration sont bien documentées : les familles pionnières provenant des états de la Nouvelle-Angleterre, les Britanniques d’origine anglaise, écossaise ou irlandaise et finalement les Canadiens français qui viendront progressivement remplacer les premiers occupants.

La première vague : Les pionniers en provenance de la Nouvelle-Angleterre

Le peuplement des Eastern Townships débute à la fin du XVIIIe siècle. Ce sont essentiellement des familles provenant de la Nouvelle-Angleterre qui s’installeront à Compton. « Les terres gratuites des townships étaient accordées sur [la] base d’un serment d’allégeance à la Couronne britannique. Mais l’attrait de cette gratuité fit en sorte que de nombreux Américains, de sentiments politiques divers, n’hésitèrent pas à prêter serment et à s’inscrire dans les listes de demandes de concessions. »

Nous retrouvons, dès le début de l’occupation des lots, plusieurs noms associés au consortium Pennoyer, Coffin et Kilborne : Stephen Vincent dont une partie du 10e lot du 7e rang accueille ce qui semble être le plus vieux cimetière de Compton, le Cochrane Sleeper Cemetery; Tyler Spafford dont la descendance occupera pendant près d’un siècle les terres où passe le chemin Drouin (anciennement le Spafford Flat Road) et où sera érigé le pont couvert Spafford-Drouin.

Parmi les autres familles provenant des états de la Nouvelle-Angleterre, les Bowen établis vers 1805 dans le secteur des chemins Pouliot et Vaillancourt, les Doak, sur les hauteurs du chemin Dion près du chemin Vaillancourt vers 1810 et les Leavitt, sur le chemin de Hatley vers 1800, sont originaires du New Hampshire. Les Farwell, arrivés vers 1800, et les Ives installés dans le coin du chemin Ives’ Hill viennent du Connecticut. Les familles Ayers (1830-1840), Huntington (avant 1811), Libbey (après 1816) et les Nichols (1805-1807) nous arrivent du Vermont.

L’immigration majoritairement étatsunienne va se poursuivre jusqu’au milieu du XIXe siècle dont quelques familles, provenant de la République de l’Indian Stream, trouveront refuge à Compton.
L’occupation du territoire des Eastern Townships, d’abord par les pionniers étatsuniens, sera ensuite appuyée par des politiques d’immigration favorables à l’établissement de citoyens britanniques provenant principalement d’Angleterre, d’Écosse ou d’Irlande.

La deuxième vague : Les Britanniques


Les auteurs situent le début de l’immigration britannique au Canada vers 1815 alors que débarquent à Québec, des officiers militaires en demi-solde et des vétérans, des paysans d’Irlande ou des Highlands écossais fuyant des conditions de vie difficiles. Les cantons situés plus au sud des Eastern Townships n’étant, à cette époque, pas faciles d’accès, ces immigrants s’établiront d’abord dans les cantons au nord des Cantons-de-l’Est : Inverness, Leeds, Broughton, etc. Ce n’est qu’avec l’entrée en jeu de la British American Land Compagny que l’immigration britannique va avoir un impact certain sur le peuplement de notre région. L’administration civile, l’organisation de la justice et l’implantation de l’Église anglicane favoriseront ainsi l’arrivée d’une certaine bourgeoisie. Durant la période 1830-1850, ce sont surtout les Britanniques (Anglais, Irlandais et, à un degré moindre du moins dans notre région, les Écossais) qui viendront s’établir à Compton.

Les Batchelder arrivent d’Angleterre vers 1831, les Brown, en 1842 et les Naylor vers la fin du XIXe siècle (1883). La famille Cochrane, d’origine irlandaise, est déjà bien établie à Compton en 1823 tout comme les Cairns arrivés vers 1840.
Compton accueillera sa part de Home Children; des enfants pauvres, orphelins ou présentant d’autres conditions sont envoyés, entre 1869 et 1949, vers différentes colonies britanniques. Grâce à des organisations charitables, environ 100 000 seraient arrivés au Canada. Une dizaine d’enfants, tous des garçons, âgés entre 7 et 17 ans, auraient ainsi été accueillis à Compton. Un certain John Garrisson, débarqué à Québec en 1891, se serait retrouvé sous la protection du révérend George H. Parker, alors pasteur de l’église St. James the Less. Dans Souvenirs de Compton, la notice concernant Charlie Moss indique que ce dernier serait arrivé au Canada vers 1898, à l’âge de 13 ans. Considéré comme leur propre fils par la famille Luce qui l’a accueilli, il était un proche de la famille Nichols. Charlie Moss est décédé en 1957 et fut inhumé au cimetière de Milby.


La troisième vague : L’invasion canadienne-française


C’est vers la milieu du XIXe siècle que prendra forme l’immigration canadienne-française vers Compton. À l’étroit dans les seigneuries, les terres maintes fois subdivisées par deux siècles et demi d’occupation ne suffisent plus pour y faire vivre décemment une famille. Plusieurs prendront alors la direction des Cantons de l’Est, à défaut de se retrouver en Nouvelle-Angleterre. La demande de main d’œuvre pour des ouvriers agricoles afin d’assurer le maintien des grands domaines fermiers, des journaliers pour la construction du chemin de fer ou l’industrie manufacturière en développement est forte. L’accès au Cantons de l’Est par voies ferrées à compter des années 1850 (Sherbrooke en 1852, Compton et Coaticook en 1853) va faciliter les mouvements de population.

Les historiens situent vers 1850, le début du mouvement migratoire des Canadiens français vers les Cantons de l’Est alors que « l'exode des Canadiens anglais vers les villes, l'Ouest canadien et les États-Unis commençait. » . Presque absente avant 1850, la population des Cantons de l’Est sera francophone à 60 % en 1871; en 1901, ils comptent pour 75 % de la population et en 1931, 84 %. Dès 1885, les pasteurs anglicans Parker puis Brewer déplorent la diminution des membres de leur communauté et leur remplacement par des gens d’une autre nationalité. En 1903 : « La mortalité dans la paroisse et la perte de nos meilleures fermes aux mains d'individus d'une autre nationalité nous placent devant l'évidence de la décroissance rapide de notre congrégation; ce qui, nous le craignons, compromet sérieusement notre avenir. »
Joseph Bouchette estimait la population de Compton à 700 habitants en 1815 et de 1202 en 1830. Avec la période d’immigration britannique (1830-1850), la population du canton de Compton doublait pour atteindre, en 1861, les 3013 habitants : un sommet pour le XIXe siècle. Pendant les 40 années suivantes, la croissance démographique du canton fut à peu près nulle; 3016 en 1901. Depuis plus de 150 ans, la population de Compton se maintient aux environs de 3000 personnes, notamment en 2016 avec 3131 personnes.

La majorité des familles canadiennes-françaises venues s’établir à Compton provient de la Beauce ou des paroisses avoisinantes notamment des comtés de Bellechasse ou Dorchester. Le bouche à oreille et la correspondance entre les personnes apparentées ou avec les familles amies demeurées dans leur région d’origine sauront promouvoir la qualité exceptionnelle des terres de Compton et faire miroiter les promesses d’un avenir meilleur.

« Jusqu'à l'aube du XXe siècle, les familles canadiennes-françaises arrivaient au rythme d'une ou deux par an. En 1900 et 1902, 28 et 29 familles s'installaient dans la paroisse de Compton ce qui portait ainsi leur nombre à 162 alors que les familles anglicanes passaient de 35 à 29. » Lors de sa visite paroissiale à l’automne 1916, le curé Eugène Saint-Jean recense les familles et leur provenance; sur les quelques 80 familles visitées, 50 % sont originaires de la Beauce.
Nous ne sommes plus à l’ère de la colonisation; les Canadiens français sont en mesure d’acheter des terres. « Une bonne terre ne se vendait-elle pas en moyenne environ 5 000 $? Certains payèrent entre 8 000 $ et 12 000 $ pour une ferme parfaitement équipée; parmi eux, des individus comme Dominique Bolduc, Joseph Bureau, Joseph-Philibert Poulin, Jean Rodrigue et Léger Loubier.

Léger Loubier

                                Léger Loubier

Qui ne connaît pas à Compton la légende de Léger Loubier réglant comptant, en billets de 100 $ sortis soigneusement d'une vessie de cochon, les 17 000 $ nécessaires pour l'achat d'une partie de la ferme Cochrane en 1908. »


Conclusion
Plusieurs autres aspects de l’histoire de Compton sont encore à découvrir. Poursuivant l’œuvre de monsieur Russell Nicols et de la Compton Historical Society, la Société d’histoire de Compton entend continuer de mettre en valeur l’histoire et le patrimoine de Compton, de même que celles et ceux qui ont fait de Compton ce qu’il est.

Jeanmarc Lachance, président

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